Hafid Aggoune présente
Paru aux éditions Plon
Résumé:
Anne Frank peut-elle réconcilier un homme désespéré avec son époque ?
Après un attentat commis par l’un de ses élèves, qui réveille les plus sombres heures de la vieille Europe, un professeur est au bord de l’effondrement.
Rongé par la culpabilité, décidé à en finir, il redécouvre un soir le Journal d’Anne Frank ; bouleversé par son actualité et sa vivacité, il se met à écrire à sa « petite soeur juive » disparue à quinze ans à Bergen-Belsen.
Entre ses lignes, la jeune fille vive et courageuse renaît, avec son désir d’écrire, sa volonté de devenir une femme indépendante et forte, et sa vision d’un monde meilleur.
A travers cette invocation qui renouvelle notre regard sur ce symbole universel d’espoir qu’incarne Anne Frank, ce roman poignant interroge notre présent, invite à la réflexion et ravive le courage de résister.
Quel est le rôle des parents selon vous ?
C’est une grande question, d’autant qu’avant d’être parent on est un enfant, puis un adolescent et enfin un adulte sans enfant. Devenir parent est propre à chaque individu, je pense. Il y a différentes manières de se préparer à cette responsabilité. Certains se retrouvent parents et doivent affronter ce bouleversement, et parfois le fuient. D’autres l’assument et ont pu s’y préparer, le désirer, ce qui a été mon cas récemment, puisqu’avec ma compagne nous avons choisi de prendre notre temps (13 ans !) et de nous consacrer à notre couple et nos projets artistiques avant de concevoir un enfant, un garçon qui a la chance d’être un vrai enfant de l’amour du coup… ce qui n’est pas donné à tout le monde.
Je ne vais pas avoir la prétention de répondre en déclarant le rôle qui doit incomber aux parents, mais je dis simplement que mon rôle en tant que « récent » parent sera de chérir, protéger, éduquer mon fils pour qu’il devienne une belle personne, intelligente, bonne et heureuse quel que soit l’état du monde… C’est mon ambition en tant que père. Après, je n’oublie pas l’imprévisible, l’influence du monde, l’expérience personnelle, le destin.
Faire de son mieux pour le bien de l’enfant et du monde qui l’entoure, comme mon père et ma mère, tous deux ouvriers, l’ont fait pour moi et mon frère ; il faut avouer qu’ils s’en sont bien sortis.
Et quel est celui des professeurs ?
Il est vrai que, comme le narrateur de mon roman et auteur de cette lettre imaginaire à Anne Frank, je donne des cours de français (du soutien scolaire chez des particuliers, et non à l’éducation nationale). Mais selon mon point de vue c’est le mot transmission qui doit primer, surtout à une époque qui connaît de multiples fractures culturelles, identitaires, avec cet abandon progressif et dangereux des savoirs anciens et humanistes qui fondent les sciences humaines.
Je pense que tout professeur digne de ce beau métier se doit de défendre la connaissance, mais aussi la curiosité, l’esprit critique, la soif d’apprendre et de développer son esprit. Or, les conditions de travail de certains établissements et de vie de certains élèves font qu’il est difficile d’arriver à cet idéal, et c’est là tout le dilemme qui ronge mon personnage principal.
Par le passé, la figure de l’enseignant imposait le respect et j’ai le souvenir du nom de la plupart de mes professeurs du primaire au supérieur. Aujourd’hui le statut peine à s’imposer, il change, se fragilise, se trouve bousculé. Il revient aux parents et aux politiques de remédier à cela. Il faut éduquer les parents parfois, leur faire comprendre l’importance de l’enseignement, des règles de vie commune. Il faut que le plaisir d’apprendre et celui d’enseigner se rejoigne. C’est l’avenir d’une société qui est en jeu lorsqu’on évoque ce métier, ce n’est pas rien, c’est même crucial et priritaire.
Est-ce que l’on n’en demande pas trop aux professeurs ?
Je pense que tout le monde est concerné pour redresser la barre du grand navire de l’éducation. On ne peut pas instituer des règles verticalement et se détacher de la réalité du terrain. Notre pays va dans le mur quand les ministères ne sont dirigés que par des personnes qui ne connaissent rien à la multiplicité des réalités sociales, économiques, psychologiques des personnes qui vivent réellement une année scolaire.
Tout professeur rêverait d’enseigner sa matière avec la notion de plaisir, sans avoir à faire le flic ou le parent. Tout professeur rêverait de finir son programme, de le rendre intéressant, concret, de susciter l’envie générale, mais comment l’aider à créer cet idéal ? Sûrement pas en prenant des décisions inapplicables ou en demandant plus sans y mettre les moyens humains, temporels et matériels.
Un professeur est plus important qu’un animateur télé ou un banquier… un jour il faudra le comprendre et le mettre en pratique. Tous les métiers tournés vers les autres sont les ponts qui font qu’un pays tient debout et peut se prendre à rêver un peu. Il faut en finir avec le cynisme et le profit sans état d’âme.
Le thème de l’enfance est très présent dans votre livre, comment est-ce que vous pourriez qualifier cette période de la vie ?
Mes romans parlent pour moi et répondent très bien à cette question tant l’enfance, la mienne, est présente à travers la fiction qui englobe mes personnages. J’ai vécu l’expérience d’un double déracinement précoce. Edmonde Charles-Roux (que je ne remercierai jamais assez, paix à sa belle âme) écrivait à propos de mon premier roman , Les Avenirs, que j’avais vécu un exil inversé. Double déracinement car je suis né en France, à Saint-Étienne, donc ma langue maternelle, natale, est le français, mais à l’âge de deux ans mon père a décidé de m’envoyer en Kabylie pour que sa propre mère me connaisse, le temps que je sois en âge d’être scolarisé. Je suis resté là-bas deux ans au lieu de deux mois. J’ai donc perdu ma langue et ma mère. Vous imaginez les dégâts affectifs, structurels, émotionnels que cela aurait pu engendrer. C’est pour cela que je suis tombé amoureux de la langue française, des livres, des écrivains et que j’ai tout de suite où était ma place dans le monde : entre les lignes, dans les yeux des gens, dans les pages, sur le corps des mots. Je dis souvent que lire m’a sauvé la vie et qu’écrire m’apprend à vivre et ce n’est pas une simple formule, c’est la clé de mon existence, la phrase de mon temple.
Qu’est-ce qu’apporte la relecture d’une œuvre une fois adulte ?
Tout l’intérêt d’avoir écrit sur Anne Frank résidait dans cette relecture d’un texte fondateur pour de nombreux adolescents. Malheureusement, une fois adulte, la plupart oublient les mots si lourds, si importants de cette jeune fille. Il faut relire Anne Frank, surtout à notre époque, surtout dans les banlieues, surtout à cause de la perte de la notion d’universalité, d’humanisme. Le Journal d’Anne Frank ne concerne pas seulement le peuple juif dont je fais partie par le biais de ma grand-mère maternelle, mais tout le monde, de toute origine, de toute confession.
Vous parlez du nazisme d’alors et du fanatisme d’aujourd’hui. Que pensez-vous de l’évolution de notre société?
Permettez-moi de citer un auteur important à mes yeux et qui nous a quitté récemment, Imre Kertesz :
« Ni Auschwitz ni le nazisme ne sont des accidents de l’Histoire. Cela peut recommencer. »
Il n’y a rien à ajouter à cette vérité implacable.
Agnostique, je n’ai rien contre les religions, mais l’extrémisme islamiste mérite d’être éradiquer et il ne faut pas avoir honte de se proclamer islamistophobes comme on a pu être anti-nazi ou résistant.
Pour le bien de toutes les communautés, les musulmans doivent faire ce que les chrétiens ont fait pour que les nuits de la Saint-Barthélémy ne se reproduisent jamais : se moderniser, créer leur unité. Avoir peur des amalgames ne suffit pas, car il est évident qu’il n’y a pas de bons musulmans et de mauvais musulmans, comme il n’y a pas de bons juifs et de mauvais juifs, chrétiens, boudhistes, animistes, etc. Il y a de bonnes personnes et des terroristes, des êtres qui respectent la vie et d’autres qui la méprisent, l’assassine au nom d’un nihilisme destructeur. C’est cela qu’il faut combattre, ce cynisme-là qui bafoue la vie, la liberté, la jouissance de l’existence, la différence, les orientations sexuelles, l’amour des uns et des autres.
Mes parents ont élevé leur deux enfants sans religion à la maison. Culturellement ils venaient de pays où la majorité des populations sont musulmanes, à savoir l’Algérie pour mon père et le Maroc pour ma mère, mais pour des raisons qui leur sont personnelles ils ne sont pratiquant d’aucune religion. Mais je ne pense pas que les religions sont le mal incarné, au contraire, la spiritualité est fondamentale dans une existence et chercher un sens à la vie est naturel, mais cela ne doit se mêler de politique ou de diriger la vie des autres.
Quel est votre rapport à l’écriture et au corps ?
Je crois l’avoir déjà dit… c’est intimement lié chez moi.
J’ai très tôt construit ma personnalité dans le refuge de la lecture puis, à la puberté, dans celui de mes propres mots, de mes idées, fictions, poèmes, journal intime. C’est pour cela que le désir a été naturel d’écrire sur Anne Frank, de redonner de l’importance au dialogue avec soi, donc avec l’Autre et enfin les autres.
Mon corps est heureux quand il fait l’amour à la femme qu’il aime comme quand il écrit, fait du skateboard, nage dans l’océan, embrasse mon enfant. Il est important de rendre son corps heureux, vital même. C’est revigorant, jouissif. Écrire, quand on donne à l’idée qui pousse le livre, plus qu’on ne se donne à soi, est réellement une jouissance au sens platonicien, dionysiaque dans le sens de la puissance comme l’entend Nietzsche (que j’aime relire et qui trône sur mon bureau, comme le livre des questions de Jabès ou Écrire de Duras et une biographie sur Henry Miller).
Les livres que j’aime lire ou relire et ceux que j’écris sont partie intégrante de ma nourriture, de mes sécrétions comme la sueur, les larmes, les râles et manifestations physiques de plaisir, le souffle…
Perdre ma langue natale, le français, et ma mère pendant deux ans, m’a obligé à me réinventer et à ne pas me suffire du réel. C’était cela ou périr lentement.
Votre livre traite de la solitude. Quel est votre rapport à celle-ci ?
J’aime la solitude. Mais paradoxalement je suis rapidement à l’aise avec tout le monde, quels que soient les milieux sociaux. Je ne sais pas si je suis un faux philanthrope ou un vrai misanthrope.
On ne peut pas aimer lire et écrire, ou peindre, sculpter, si on n’a pas apprivoisé ses propres démons et, du coup, un vrai plaisir à être confronter au pire ennemi qui soit : ce « je » qui nous regarde autant qu’on le regarde dans le miroir.
Savoir être seul est primordiale pour être fort dans ce monde.
Vous écrivez qu’Anne Frank cherchait la vérité en écrivant. Et vous ?
Je n’ai pas la prétention de la détenir, mais je cherche la vérité de mes personnages ? D’ailleurs je n’écris jamais un roman si je ne sens pas une véracité, quelque chose de tangible, qui tient debout comme un squelette animé par des nerfs. Chercher est le plus beau des métiers car vous ne vous en lassez jamais. Écrire c’est chercher ce qui ne se voit pas, tapi sous l’épaisse moquette blanche de la page, enfoui dans les méandres comme des poussières, ces lambeaux de peaux mortes, des parties de nous, un monde qui grouille et qui ne demande qu’à naître sous des yeux inconnus.
Quels sont vos prochains projets ?
Vous envoyer, enfin, cette interview et continuer à chercher ce prochain roman qui a déjà commencé et que mes éditeurs attendent…
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